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LA TASSE DE CAFE

On le bois quand ce café ?

Pas maintenant, suis en retard, on voit ça la semaine prochaine ?

La semaine prochaine ? Ok, ca me va, on s’appelle ?

On s’appelle !


Enfin, nous avions fixé, ou presque, un rendez-vous pour se le boire ensemble, ce café. Depuis le temps que nous en parlions, comme ça, entre deux portes, toi qui sortais de ton appart, moi qui entrais dans le mien, ou encore en nous croisant au coin d’une rue, chacune suivant sa propre direction.


Et puis, le temps, le travail, les occupations, les soucis, la vie, quoi, la vie…



On s’est bien retrouvées quelques fois au bistrot le samedi après le marché, pour l’apéro, avec toute la bande. Mais difficile de faire vraiment connaissance au milieu des verres de vin blanc, du saucisson et des apostrophes d’une centaine de personnes ; on arrivait bien à échanger 3 mots par ci, 2 autres par là dans le brouhaha de la terrasse du bar des Halles, par dessus la table ou l’épaule des copains . Mais pas de vraie conversation, pas de celles qui permettent d’entrevoir ce qui fait d’une personne un être unique, irremplaçable maillon de l’humanité.


Ici, c’est une tradition, le samedi midi, c’est l’apéro au bistrot. Nous n’avons pas eu besoin d’attendre le « # tousenterrasse » que ces tristes derniers jours ont engendré. Aucun psychotique de dieu ne nous pousse à lever nos verres, aucune kalachnikov ne nous incite à sortir le galabare, le fromage et le pain. Nous le faisons depuis des années, avec acharnement, quelle que soit la météo, pour partager une bonne heure du bonheur d’être simplement ensemble.


Toi, tu n’es arrivée que l’année dernière, dans la ville et à notre table. Je pense qu’une certaine discrétion timide t’a retenue de te joindre à nous plus souvent. Mais il suffisait que tu passes et on se poussait, on te trouvait une chaise, un verre et puis voila. C’était tout simple.

Je ne sais pas ce qui a fait que nous avions visiblement le désir de nous mieux connaitre… Ton gros chien qui saluait mon petit matou, à la fenêtre tous les matins ? (On en profitait pour se donner le bonjour.) Ou le sentiment d’avoir rencontré en toi une vraie personne ?


Tu avais le dynamisme d’une fille libre qui randonne, voyage, lit, apprend le piano, travaille, sort, croque la vie, aime les confitures, l’humour, les gens et les infusions de verveine…


Mais, sans pathos, tu ne cachais pas non plus la lutte que ton corps menait contre cette autre saleté de terrorisme : les cellules anarchiques, le cancer.


Je ne connais rien de tes vrais combats. En fait, je sais si peu de toi. Je sais juste que tu es partie vite, si vite. En quelques jours. Mais tu as pris le temps de m’appeler avant, lundi en huit, pour me dire : Tu viens prendre le café Mardi à la maison ? Je devrais être sortie de l’hôpital…


Et puis il y a eu le 13 novembre, à Paris, des monstres imbéciles ont réédité les massacres insensés du 7 janvier, et ont transformé notre monde en une boucherie. Ils ont voulu détruire les symboles de notre mode de vie, au Bataclan, en terrasses de restaurants, au stade de France. Ils ont instillé la peur et la terreur, ils ont tué avec méthode, suivant une logique dépravée.

Ils ont voulu nous faire croire que nous étions en guerre…


Mais tout mon être refuse l’idée de guerre.

Ces individus ne sont pas mes ennemis, ils ne sont que des outils décérébrés qui ignorent quelles mains les utilisent, des outils absurdes qui ont abandonné leur libre arbitre au profit de fadaises, et pour le plus grand profit de qui ? de quoi ? de la haine ? de la sauvagerie ? de l’argent ? Certainement pas d’un quelconque dieu, car si un tel être existait, il aurait la nausée !


Mais toi, la guerre, la vrai, la seule qu’il faille conduire, tu la menais de ton coté, et depuis trop longtemps, contre un mal bien plus pernicieux que ces foutus djihadistes.


Alors oui, comme tu le dirais, je fais des amalgames… Toi, les victimes d’attentats. Ces évènements, parce que contemporains les uns des autres, ont bouleversé ma vie.

J’ai un regret immense de n’avoir pas pris le temps de mieux connaitre l’Etre Humain que tu étais.

Comme je regrette que plus personne ne puisse prendre le temps de connaitre les 130 Etres Humains tombés sous les balles et les bombes.


J’ai le regret immense de ne pas avoir les mots pour exprimer clairement les idées qui se bousculent dans la tête, de ne pas avoir la connaissance nécessaire pour dire ma révolte et mon indignation face à l’absurdité absolue qui mène à la haine, qui mène à la négation de l’autre, qui mène au terrorisme.


Je ne crois pas en dieu, ni un, ni pluriel. Je ne peux pas adhérer à ce qui pour moi ressemble à un conte de fée, pour affronter les mystères de l’univers, et il m’est impensable remettre mon destin dans les mains d’une entité mystique qui serait responsable, à ma place, de ce que je suis, ce que je fais, ce que je vis.

Et oui, j’ai peur, parfois, souvent, et se serait tellement plus simple, plus rassurant de pouvoir croire qu’un grand barbu, quelque part, dans son omniprésence et son omnipotence mène la danse à ma place et possède toutes les réponses.

Mais comme toi, comme nous tous, je suis une simple humaine, je suis née seule, et je partirai seule, face aux grands mystères de la vie, de l’univers et du reste, et sans aucune certitude.


J’ai juste foi en l’humanité. Mais c’est une foi lucide, sans angélisme : L’humain (dont je suis) peut être merveilleux, surprenant, sidérant, aimable, mais aussi monstrueux, vil, mesquin, intolérant, et ignoble. Charge à chacun de nous d’apprendre à se connaitre et, si possible, s’amender.


Comme toute foi, la mienne est personnelle et appartient au domaine de l’intime, et lorsqu’il m’arrive d’en parler comme aujourd’hui, c’est pour la confronter à d’autres visions du sens de la vie et la faire évoluer, et non pour l’imposer comme étant la vérité unique.

Je comprends que certains aient besoin de croire en un démiurge pour affronter les doutes et soient incapable de faire face, seuls, à l’abime de l’incompréhensible, de l’inconnaissable, de notre petitesse, de notre mortalité …

Y penser honnêtement donne le vertige, et ce n’est pas évident de rester debout, et de continuer à avancer, sans savoir vers quoi l’on s’achemine, sans les béquilles d’une croyance pour garder l’équilibre. Vivre avec le doute, c’est comme marcher les yeux bandés, on a la sensation de chuter à chaque pas que l’on fait, mais parfois, on avance.


Je voudrais te faire la promesse de ne plus remettre à demain mes envies de vraies rencontres, celles où l’échange de pensées, d’idées, de savoirs, de rires, d’humour, de vérités grandes et petites, font que l’on rencontre réellement l’autre et qu’il enrichit nos vies. Je voudrais te faire la promesse de continuer à avancer.


Nous sommes mardi, et comme tu l’annonçais la semaine dernière, tu es bien sortie de l’hôpital, mais, dans une barque blanche, que nous avons remplie de fleurs tant et tant, que les employés des pompes funèbres ont eu un peu de mal à fermer le couvercle. J’ai rencontré ceux qui t’aimaient, ils étaient fort nombreux.


Au distributeur, j’ai pris une tasse de café en compagnie de ta cousine (ça, c’est fait). Je l’ai bue à ta mémoire et à celles de ces 130 jeunes gens qui n’exprimaient que leur joie de vivre.


Mais elle était amère.


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